Dans l’industrie funéraire, on ne s’emballe pas trop face aux projections de décès des prochaines décennies. La Fédération des coopératives funéraires du Québec, qui regroupe 23 coopératives funéraires dans la province, reste prudente quand on évoque l’avenir florissant pour les entreprises liées à la mort.
«Le boom de clientèle, ça se produit et ça ne se produit pas», explique le directeur général de la Fédération, Alain Leclerc. Selon lui, le vieillissement de la population commence à se faire sentir, mais pas de façon significative, notamment en raison de l’espérance de vie qui augmente. Le démographe de l’Institut de la statistique, François F. Payeur abonde dans le même sens, faisant valoir que les données liées à l’espérance de vie réservent souvent des surprises. «Depuis longtemps, les démographes ont eu tendance à sous-estimer l’évolution de l’espérance future en raison de la constance inattendue des gains aux grands âges (imputables surtout au recul des maladies cardiovasculaires)», explique-t-il.
Par exemple, il y a une vingtaine d’années, les projections des décès pour 2011 avaient été établies à 67 000. En réalité, cette année-là, ce sont 60 000 personnes qui sont mortes au Québec. «Les hommes gagnent environ 4 mois par année depuis 1995-1997 et les femmes environ 2,2 mois, ce qui représente 8 heures par jour chez l’homme et près 4 heures chez la femme», illustre le démographe.
Un problème de relève
Pour M. Leclerc, les véritables défis qui touchent les entreprises mortuaires sont liés à la mutation que connait leur industrie. Elle se constate tant chez les acteurs du milieu que dans les rites funéraires. «Un des gros phénomènes qu’on observera dans les prochaines années, c’est la consolidation des entreprises», dit-il. En ce moment au Québec, on compte près de 300 entreprises funéraires, et bon nombre d’entre elles sont de petites compagnies familiales. «Je compare la situation au problème de relève dans les fermes familiales», soulève directeur général de la Fédération. À l’instar de sa clientèle, le domaine mortuaire connait un vieillissement chez les propriétaires de maisons funéraires.
«Les enfants ne sont pas nécessairement intéressés à prendre la relève et à travailler sept jours sur sept, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit », dit-il. De plus, la nouvelle génération qui souhaiterait poursuivre les activités de l’entreprise familiale ne peut assumer le financement nécessaire à l’acquisition de l’entreprise. Pour ces raisons, bon nombre de maisons funéraires sont achetées par des compagnies américaines qui leur font des offres alléchantes. Selon le document réalisé par la Fédération Le marché funéraire au Québec, en 2010, le marché funéraire du Québec était réparti de la façon suivante : 60 % d’entreprises familiales, 15 % de coopératives funéraires et 25 % de propriétés hors Québec. «C’est triste, parce que dans plusieurs régions les gens ont le choix pour 2-3 entreprises, dont le nom a une consonance québécoise, mais ils ne savent pas que ça appartient tout à la même compagnie américaine», ajoute M. Leclerc.
L’ère de tous les possibles
Du côté de la clientèle, l’arrivée des baby-boomers dans le marché funéraire accentuera les changements déjà observés dans les rites mortuaires. Lorsque la religion faisait encore partie intégrante des pratiques funèbres, le modèle de base du déroulement d’une cérémonie funèbre se résumait ainsi : une, deux, voire trois journées d’exposition du corps au salon funéraire, une messe funérailles à l’église suivie de l’inhumation au cimetière. Aujourd’hui, les demandes sont multiples et les cérémonies religieuses sont nettement moins nombreuses. Selon l’Association des évêques catholiques du Québec, 23 000 funérailles (religieuses) ont été célébrées sur un total de 60 000 décès en 2013. L’année précédente, 3000 funérailles de moins ont été célébrées pour un même nombre de morts. M. Leclerc rappelle que la génération des baby-boomers est celle qui a rejeté la pratique de la religion catholique. «Les baby-boomers ont tout décidé de leur vivant. Ils veulent décider comment ça va se passer lorsqu’ils seront décédés.»
«On est à l’ère de réinventer le modèle de la maison funéraire», remarque de son côté la directrice générale de la Corporation des thanatologues du Québec, Nathalie Samson. Tant les endeuillés que les directeurs funéraires sont en mode «essais-erreur» pour redéfinir la façon de vivre un deuil et saluer une dernière fois la personne chère qui est décédée. En l’absence de religion pour encadrer le processus, les familles endeuillées font maintenant face à un éventail de possibilités lorsque survient la mort d’un proche. «Il y a beaucoup de possibilités. Il y a donc beaucoup de décisions à prendre pour la famille endeuillée», indique M. Leclerc. Pour faciliter la prise de décision à la suite d’un décès, la Fédération des coopératives funéraires du Québec encourage les familles à parler de la mort …de leur vivant. «Il n’y a rien de mauvais à parler de la mort et à discuter de comment on voudrait que se passent nos funérailles.»
L’une des principales décisions à prendre est de choisir ce qui adviendra de son corps physique.