SAINTE-BRIGITTE-DES-SAULTS Qu’on l’appelle passe migratoire ou échelle à poissons, la Fondation Rivières, à la lumière des documents épluchés par l’organisme, a toutes les raisons du monde de se demander comment il se fait que l’installation d’un tel équipement au barrage de Sainte-Brigitte-des-Saults ne soit pas réalité aujourd’hui ou, à tout le moins, sur le point de l’être.
D’abord désignée comme obligatoire lors de l’émission du premier certificat d’autorisation en 1992 au moment de sa construction, ladite passe est, semble-t-il, devenue conditionnelle à une demande du ministère de l’Environnement et de la Faune (MEF) d’alors, en 1997, depuis l’attribution du second certificat à un intermédiaire (Barklays Corporation Ltd) lors du rachat de la mini-centrale vendue l’année suivante à l’entreprise ontarienne Algonquin Power Fund.
«Comment expliquer qu’en l’espace de cinq ans, entre 1992 à 1997, cela ne soit plus vital pour les poissons de migrer entre l’aval et l’amont du barrage au moyen d’une passe ?», s’interroge Pierre Leclerc, agent de recherche et de communication à la Fondation Rivières, organisme de préservation qui s’intéresse d’une façon particulière par les temps qui courent au sort de la rivière Nicolet Sud-Ouest.
La question mérite d’autant plus d’être posée que le principal argument soulevé à l’époque, selon un document obtenu par Fondation Rivières, la présence d’un vieux barrage à quelques kilomètres en aval obstruant déjà la libre circulation des poissons, ne tient pas ou plus la route.
En effet, une inspection faite tout récemment à la hauteur de La Visitation par la Direction de la sécurité des barrages confirme que les poissons remontent allégrement la rivière en direction de Sainte-Brigitte à l’endroit d’une petite chute.
Des documents qui parlent
Pour tenter de mieux comprendre la situation, Pierre Leclerc est allé faire des recherches dans divers documents dont le mémoire de la Commission d’enquête sur la politique d’achat par Hydro-Québec d’électricité auprès des producteurs privés, celle-ci étant davantage connue sous le nom de la Commission d’enquête Doyon.
Rendu public en janvier 1997, le mémoire s’est intéressé, entre autres, aux installations de Sainte-Brigitte-des-Saults dont, par ricochet, à l’absence d’une échelle à poissons.
À cet égard, M. Leclerc rappelle une citation du Procureur général du Québec qui se lisait comme suit: «Cette échelle, on le sait, n’a pas été construite, quoiqu’il semble que l’infrastructure nécessaire à son installation ait été mise en place à l’occasion de la construction du barrage. Ce manquement au certificat d’autorisation n’a pas été souligné immédiatement par le Ministère de l’Environnement et de la Faune en raison du contexte particulier du dossier. Ainsi, la faillite d’Hydro P-1 inc. et la difficulté, par la suite, d’identifier un interlocuteur valable ont rendu le traitement de ce volet du dossier plus complexe.»
D’ailleurs, Pierre Leclerc ajoute que le Procureur général affirmait à l’époque que l’absence de cette échelle à poissons «méritait d’être corrigée», ce qui en confère pour ainsi dire le caractère obligatoire.
«Qui plus est, ce même rapport mentionnait clairement que l’exigence de respecter un débit réservé devenait extrêmement importante pour protéger le milieu aquatique», note l’agent de recherche pour faire un lien avec un autre aspect préoccupant du dossier de la Nicolet Sud-Ouest.
Moulin Côté
Ce n’est pas tout, M. Leclerc confirme que la Fondation Rivières a pu mettre la main sur le document de référence et d’analyse ayant servi à la demande de certificat d’autorisation présentée en 1992 par ADS Groupe-conseil Environnement inc., au nom d’Hydro P-1 inc.
«Ce document explique que la libre circulation et l’installation de la passe à poissons dépendaient à l’époque de la possibilité de réaménager un vieux barrage, le Moulin Côté, situé à quelques kilomètres en aval de Sainte-Brigitte, sur le territoire de La Visitation», résume M. Leclerc en précisant que ledit barrage est répertorié par le Centre d’expertise hydrique du Québec (CEHQ).
«Le CEHQ nous informe qu’il s’agit d’un barrage privé de faible contenance, désaffecté depuis plus de 40 ans, et qui servait autrefois à l’alimentation en eau pour une meunerie, jusqu’à sa fermeture en 1962. Il aurait fait l’objet de travaux en 1974», rapporte Pierre Leclerc en indiquant que l’organisme gouvernemental ignorait la nature desdits travaux.
M. Leclerc et son groupe sont prêts à accepter l’idée que cet obstacle rendait inutile à ce moment-là la construction immédiate de l’échelle à poissons au barrage de Sainte-Brigitte.
Ils retiennent néanmoins un passage formulé par le groupe-conseil qui nous ramène dans la situation d’aujourd’hui: «Advenant que le barrage situé en aval de Sainte-Brigitte soit réaménagé et permette la libre circulation du poisson ou sur simple demande du MENVIQ ou du MLCP, l’échelle à poissons prévue dans l’actuel projet serait automatiquement construite et exploitée.»
Le groupe-conseil écrivait aussi que «Le MLCP pourrait parallèlement tenter de réaménager le barrage du Moulin Côté de façon à ce qu’il n’entrave plus la libre circulation de l’ichtyofaune.»
Photos à l’appui
Faisant valoir qu’en mai dernier, des experts du CEHQ se sont rendus sur les lieux, à La Visitation, et ont pris des clichés de ce vestige confirmant qu’il y a bel et bien circulation de poissons à cet endroit et même des activités de pêche, le porte-parole de la Fondation Rivières y va pour conclure d’une question qui mérite certes réponse.
«Si la présence de ce vestige expliquerait pourquoi le Ministère ne voyait pas la nécessité de cette passe, comment expliquer que ses propres clichés prouvent maintenant qu’il y a pourtant circulation de poissons sur ce site ?», soumet à bon droit Pierre Leclerc.