GOLFE SAINT-LAURENT. Le Drummondvillois Jeffrey Gallant est souvent appelé à commenter l’actualité depuis qu’un vétérinaire a affirmé avoir aperçu un requin blanc au large de l’Île-du-Prince-Édouard. De plus, la découverte d’une dizaine de carcasses de phoques sans tête retrouvées sur les berges de la Haute-Gaspésie a alimenté les doutes.
L’Express s’est entretenu avec ce président du Groupe d’étude sur les élasmobranches et le requin du Groenland (GEERG). Même si le retour du requin blanc n’a toujours pas été confirmé dans le golfe Saint-Laurent, cela pourrait, selon Jeffrey Gallant, être une question de temps.
À part ce vétérinaire qui aurait aperçu un requin blanc près de l’Île du Prince Édouard, d’autres observations du genre vous ont-elles été rapportées?
Non. Les observations confirmées du requin blanc dans le golfe du Saint-Laurent sont rares. Toutefois, les observations dans la baie de Fundy deviennent de plus en plus fréquentes avec des cas confirmés presque chaque année. Tous les étés, je reçois de fausses alertes en provenance de la Côte-Nord et de la Gaspésie. Il s’agit du requin maraîche dans presque tous les cas puisqu’il ressemble à une version miniature du requin blanc.
L’arrivée du requin blanc est-elle toujours remarquée dès la fin de juillet?
Avec les changements climatiques, les migrations de beaucoup d’animaux sont modifiées, y compris celles de certaines proies habituelles du requin blanc. Les changements chez les plus petites espèces affectent tous les animaux en remontant jusqu’au sommet de la chaîne alimentaire. Avec tous les bouleversements qu’occasionne le réchauffement planétaire, il ne serait donc pas surprenant de voir arriver le requin blanc plus tôt dans la saison.
Pourquoi le requin blanc a-t-il quitté le golfe Saint-Laurent, alors que sa présence a régulièrement été signalée dans les années 1930 et 1940?
Principalement en raison de la surpêche. Les produits dérivés du requin tels les ailerons ainsi que le cartilage sous forme de pilules, sont devenus très populaires au cours du dernier quart de siècle. Aussi, la mauvaise réputation du requin blanc résultant de films comme «Les dents de la mer» (Jaws) en a fait une cible de choix pour les amateurs de pêche sportive aux États-Unis. Des milliers d’individus ont donc été tués avant de pouvoir se rendre en eaux canadiennes où ils étaient aussi chassés. Aujourd’hui, le requin blanc est protégé en Amérique du Nord. Combinée à l’augmentation du nombre de phoques dont il se nourrit, la population du requin blanc peut donc commencer à se rétablir. Elle demeure toutefois bien inférieure à ce qu’elle était autrefois.
Par rapport aux phoques sans tête, ces découvertes sont-elles particulières à cette année? En aviez-vous déjà entendu parler par le passé?
Ce phénomène se reproduit souvent, mais il est peu fréquent d’en retrouver autant en aussi peu de temps. Je suis convaincu que les phoques sans tête ne sont pas le résultat de prédation de requins. Il s’agirait plutôt de morts occasionnées par une interaction directe ou indirecte avec des humains ou des engins de pêche, sinon de morts accidentelles causées par, ou ayant causé des blessures à la tête. La plus récente hypothèse suggère que les têtes endommagées se détachent rapidement du corps une fois le processus de décomposition déclenché. Dans le cas d’une attaque de requin blanc ou de requin du Groenland, le phoque aurait été consommé en entier par l’agresseur, sinon par ses compères.
Quelles sont les grandes différences entre le requin blanc et le requin du Groenland?
Bien qu’ils atteignent la même longueur, le requin blanc est deux fois plus massif que le requin du Groenland. Aussi, le requin blanc est souvent observé à la surface de l’eau tandis que le requin du Groenland est une espèce davantage benthique qui vit près du fond. Le requin blanc est beaucoup plus rapide et il migre sur de très grandes distances. Le requin du Groenland est très lent et bien que l’on connaît encore mal ses migrations, il pourrait être plus fidèle à une région particulière. Par exemple, nous avons observé un même requin du Groenland au même endroit et sensiblement à la même date pendant plus d’une année. Nos données de télémétrie démontrent aussi que le requin du Groenland peut passer plusieurs mois dans le même secteur.
Quels sont les projets du GEERG cet été?
Nous allons tenter de poser des émetteurs acoustiques et satellites sur des requins du Groenland et sur un requin-pèlerin dans l’estuaire et dans le golfe du Saint-Laurent. J’agirai en tant que chef de plongée pour une expédition de sensibilisation environnementale à bord d’un bateau qui nous mènera du Labrador au Groenland en passant par l’île de Baffin. Puis nous poursuivrons la modernisation de notre vaisseau de recherche grâce à des contributions importantes de BRP (Bombardier produits récréatifs), Evinrude, Verreault Navigation et du Groupe Bourret.