HISTORIQUE. Peu de gens sur cette planète terre peuvent se vanter d’avoir conçu une papamobile comme c’est pourtant le cas pour Arcade Latour, un Drummondvillois d’origine qui a d’abord été connu, tout jeune homme encore, comme cofondateur du journal L’Express, avec Jules Dupuy, au début des années 1970.
Dans la jeune vingtaine, fort de ses connaissances et habiletés en dessin technique, en architecture et en beaux-arts, Arcade se fait alors la main comme concepteur publicitaire du nouveau journal, bien qu’il touche à tous les aspects de la besogne au sein de la petite équipe.
«Personne ne comptait ses heures», se souvient-il pour bien démontrer que les débuts du journal que vous lisez présentement n’ont pas été de tout repos.
L’aventure a une fin heureuse pour lui car après quatre ou cinq ans à se frotter aux deux autres hebdos que sont La Parole et Le Voltigeur, le journal est vendu à profit, ce qui lui permet de démarrer la maison de production publicitaire connue sous le nom de Communication Arduma.
Concours de circonstance
La vie suit son cours normal pour Arcade Latour jusqu’en 1983, alors qu’il séjourne au port Saint-François, à Nicolet.
Un beau jour, un voisin lui demande comme ça s’il ne serait pas intéressé à faire les plans de la papamobile en vue du voyage au Canada, l’année suivante, du pape Jean-Paul 11.
Il faut dire que le voisin en question, un proche de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), était bien au fait des talents artistiques de M. Latour, d’autant plus que les concepteurs de papamobile, on ne trouve pas ça dans le bottin téléphonique.
On lui explique que, s’il accepte ce mandat «secret et confidentiel» du CECC, il devra alors concevoir le véhicule et voir à la supervision de sa construction, et ce, à partir d’un châssis de camion «heavy duty» General Motors et de sa cabine avant devant être conservée quasi intacte.
Il fallait donc, sans négliger l’ensemble, s’intéresser de façon particulière à la partie arrière en quelque sorte de la papamobile afin de répondre aux critères de visibilité, de confort et surtout de sécurité du Souverain Pontife lors de ses déplacements en terre canadienne, sans en négliger l’aspect esthétique, on le comprendra.
Voilà donc un défi à la hauteur de cet artiste et créateur qui accepta la commande en se disant dès le départ que cette papamobile aura fière allure.
«Je voulais éviter à tout prix que ce véhicule papal ait l’air d’une camionnette tirant une boîte de verre», affirme M. Latour qui a plutôt bien réussi son coup si l’on juge par les éloges qui lui ont été témoignés depuis et qui, de son propre aveu, ont grandement contribué à forger sa renommée.
«C’est sans doute l’aspect le plus positif de cette aventure», reconnaît M. Latour en confessant qu’il ne s’est pas mis riche pour autant avec ce projet qui s’est échelonné sur une année, mais pour lequel, dit-il en riant, il a retiré plein d’indulgences.
Musée des religions
De fait, s’il est question aujourd’hui d’Arcade Latour et de son «bébé», c’est que depuis le 12 mai dernier, l’un des deux exemplaires de cette papamobile (on a finalement construit deux unités identiques), celui appartenant au Musée des sciences et de la technologie d’Ottawa, est de retour à Nicolet, plus précisément dans une annexe du Musée des religions du monde construite spécifiquement pour l’accueillir, alors que le véhicule sera, à n’en pas douter, le centre d’attraction de l’exposition «1984…Je me souviens» qui aura lieu tout au cours de l’été à cet endroit.
De passage dans la région pour prendre part à la fois à cette arrivée de la papamobile, ce qui l’a ému, et pour préparer une exposition de ses œuvres réalisées avec des encres d’imprimerie qu’il présentera à partir du 1er juin à la Galerie d’art Solange Lebel, Arcade Latour a donc accepté de partager quelques anecdotes en reculant 30 ans en arrière.
C’est d’ailleurs muni d’une précieuse mallette qu’il a minutieusement ouverte sous les yeux du journaliste de L’Express que M. Latour a épluché son trésor au gré des pièces qu’il y avait déposées à la conclusion de son mandat.
On y retrouve d’abord des photos, certaines prises à l’intérieur de l’entreprise «Camions Pierre Thibault» de Pierreville, là où il a passé quelques mois en compagnie d’une équipe d’employés dédiés à cette mission.
Le secteur de l’usine où est assemblée la papamobile devient presque un lieu sacré au point même où les sacres se font rares.
En fouillant dans sa boîte au trésor, il met ensuite la main sur une pièce de tissu d’un rouge vif, le matériel en fait qu’il a utilisé pour décorer l’intérieur de l’habitacle et le mobilier afin de faire contraste avec les habits blancs du pape, donc pour une meilleure visibilité de ce dernier.
Arcade Latour a d’ailleurs dû débattre de ce point avec la CECC qui voulait initialement un intérieur aux couleurs officielles du Vatican, c’est-à-dire le blanc, le jaune et le gris.
Parlant de la CECC, c’est Mgr Jean-Claude Turcotte qui a été l’interlocuteur le plus avisé lorsque le designer avait un point litigieux à débattre.
Mais il n’y avait pas que cette organisation à considérer puisque le gouvernement canadien, la GRC et l’Armée canadienne avaient chacun leur lot d’exigences et de contraintes à soumettre en matière de protocole et de sécurité.
Par exemple, la hauteur de la papamobile ne devait pas dépasser 105 pouces afin de permettre son transport par avion.
Il va sans dire que toutes ces restrictions ont conduit à une série d’inspections et de tests parfois à l’usine, mais également à l’extérieur.
Le Drummondvillois se rappelle en ricanant que c’est au retour d’une inspection de l’Aviation canadienne faite à l’aéroport de Trois-Rivières pour s’assurer que le véhicule papal pouvait bien s’insérer dans l’Avion Hercules qu’il a pris sur lui de conduire la papamobile…même si ce n’était pas tout à fait permis.
Toujours lors de ce fameux voyage, il se souvient de la curiosité soulevée par la présence de l’étrange véhicule dans la cours d’un restaurant de Bécancour pour souper.
Tapis drummondvillois
De retour dans sa mallette, dans une pile de papiers de toutes sortes, à travers les plans, croquis et échantillons divers, Arcade Latour se met à sourire lorsqu’il trouve la copie d’une lettre que lui a acheminée Barry Husk, alors vice-président de Tapis Harding (devenue depuis Tapis Venture) qui lui confirme que l’entreprise drummondvilloise accepte de réaliser le tapis du plancher de la papamobile, selon les spécifications requises, dont la fabrication spéciale d’un rouge identique au tissu.
M. Latour se dit fier de cet autre apport drummondvillois dans l’aventure de la papamobile et de cette belle complicité avec M. Husk.
Toujours dans sa boîte à trésor, il retrouve des coupures de journaux de l’époque dont un qui rappelle son passage à l’émission la plus populaire de l’époque, celle animée par Michel Jasmin.
Curieusement, cette apparition allume une lumière chez les hauts dirigeants de Radio-Canada qui, à un mois de la visite du pape, prend conscience qu’elle n’a pas de véhicule muni d’une cabine pour protéger le caméraman des intempéries.
Arcade Latour obtient un contrat de dernière minute pour la réalisation de deux unités.
Le tout sera livré à temps, mais le concepteur se remémore encore du stress éprouvé.
Quelque temps après la visite du pape, fort de la publicité obtenue, Arcade Latour obtient un troisième contrat dans ce domaine, soit celui de mettre au point un véhicule adapté aux besoins des médias pour la société Loto-Québec.
Conscient à la fois qu’il avait un potentiel pour œuvrer dans le domaine de la conception automobile, mais qu’il lui en restait encore beaucoup à apprendre, Arcade confie qu’il a songé un instant aller poursuivre des études en Italie, mais il a finalement changé d’idée pour revenir à son bureau et à son autre passion, la peinture…avec des encres d’imprimerie.
Pour conclure avec la papamobile, l’espace ne nous permet malheureusement pas de remémorer tous les souvenirs qui viennent à l’esprit du Drummondvillois lorsqu’il effectue ce voyage dans le temps sauf pour l’entendre confirmer qu’il n’a ménagé aucun effort, à travers les règles qui lui étaient dictées, pour réaliser un véhicule aussi unique et prestigieux que le personnage auquel il était dédié.