Le 1er novembre 1987, Francine Ruest Jutras a écrit une page d’histoire en devenant la première femme à accéder à la mairie de Drummondville. Vingt-cinq ans plus tard, alors que l’on s’apprête à souligner ce significatif anniversaire, celle qui a déjà confirmé qu’elle mettra un terme à un règne sans interruption en novembre 2013 accepte de répondre à nos questions. L’Express publie ici la première partie de l’entrevue. La suite sera présentée incessamment.
Madame Ruest Jutras, diriez-vous que vous étiez prédestinée à faire de la politique active ?
J’ai toujours été attirée par la chose publique. Pendant mes années au collège, je m’occupais du journal et de l’association étudiante. C’est d’ailleurs à l’Association générale des étudiants de Drummondville que j’ai rencontré mon mari, Germain (Jutas). J’ai également milité pendant des années au Parti québécois. J’avais donc une bonne connaissance de ce qu’était l’organisation politique. Ma mère me disait que c’était dur la politique. C’est vrai qu’on est comme un poisson rouge dans un bocal, qu’il peut avoir de la confrontation à l’occasion, qu’il faut savoir faire de l’arbitrage mais c’est un métier passionnant!
Peut-on affirmer que vos quatre années comme conseillère ont constitué en quelque sorte votre école de la politique municipale ?
Mon mandat comme conseillère m’a bien sûr mise en contact avec les réalités de la politique municipale. J’aimais bien les dossiers en général, on m’avait confié ceux de la culture au début pour me les retirer et les confier à quelqu’un d’autre en ne me laissant que ceux des jumelages. La population avait manifesté son mécontentement spontanément et avec force. Cela m’avait surprise et encouragée mais le maire n’avait pas changé d’idée. J’étais la seule femme aussi, ce n’était pas toujours facile lors de certaines réunions. Oui, ce fut néanmoins une bonne période d’apprentissage.
Pourquoi avez-vous décidé de convoiter dès lors la mairie ?
Mon mandat comme conseillère avait été difficile, étant seule dans l’opposition lors des derniers mois puisque Bruno Smith avait quitté. Je ne voulais pas revivre ça un autre 4 ans. Ou je laissais la politique municipale pour faire autre chose ou je me lançais à la mairie.
Pourriez-vous donner un qualificatif à la campagne ayant conduit à votre victoire face au maire sortant, Serge Ménard, et vous souvenez-vous de votre slogan ?
Ce fut une campagne trépidante. Un journal avait noté que c’était la plus grosse campagne municipale depuis longtemps. Même si ce fut une campagne ardue, je l’ai menée avec les gens de mon équipe dans la bonne humeur. Mon slogan était: «Intégrité et compétence, elle on peut lui faire confiance».
Le 1er novembre 1987 est à la fois un moment heureux pour vous puisqu’elle est celle de votre première élection à la mairie, sauf qu’elle est à la fois fatidique pour vous puisqu’elle coïncide avec le décès de René Lévesque. Que représentait cet ex-premier ministre pour vous ?
J’avais eu le privilège de travailler avec René Lévesque durant quelque temps puisque j’ai siégé à l’exécutif du P.Q. pendant quelques années. C’était un homme de conviction, un grand démocrate, un réformateur et un vulgarisateur hors pair. Le soir de mon élection, lorsqu’on est venu m’apprendre la nouvelle de sa mort, j’ai pleuré, comme plusieurs. Cela a jeté une ombre de tristesse sur ma victoire.
Première femme à la mairie de Drummondville, est-ce que cela représentait un défi supplémentaire, un devoir de résultat plus grand ?
Je sentais, je savais que je devais bien faire et qu’il n’y avait pas vraiment de place à l’erreur. Le fait que je sois une femme agaçait certaines personnes peut-être, mais dans l’ensemble, les Drummondvillois et Drummondvilloises me faisaient confiance et attendaient de voir quelle serait la suite des choses. Je ne voulais surtout pas décevoir, aussi ai-je travaillé très fort, ce que je fais encore d’ailleurs. J’ai eu la chance en novembre 1987 d’être élue avec plusieurs personnes de mon équipe. Cela nous a donné le souffle nécessaire pour changer les choses et j’ai d’ailleurs eu un bon support de l’équipe administrative à l’interne.
Avez-vous en mémoire une anecdote liée à votre nouvelle fonction ?
Le lendemain ou le surlendemain de mon élection, j’ai eu une entrevue à la radio au cours de laquelle on m’a présentée comme Madame le maire. Mais non, dis-je, je suis la mairesse de Drummondville, j’ai vérifié auprès de l’Office de la langue française. On féminise les titres. Pas évident de chercher comment on s’appelle!
À quel dossier prioritaire, vous êtes vous attaquée à votre arrivée en poste ?
Le premier dossier a été de remettre de l’ordre dans les finances. La fin de l’année financière 1987 a été marquée par un déficit d’opération. Inacceptable! Il fallait donner un sérieux coup de barre puisque sans finances saines et une gestion serrée, il est impossible de dégager une marge de manœuvre suffisante pour réaliser de grands projets et faire avancer la ville. Aujourd’hui, les taxes sont basses et la dette per capita est plus faible qu’en 1988 malgré les centaines de millions $ qui ont été investis dans des projets structurants.
À titre de mairesse sortante, deux fois vous avez eu à faire face à un opposant, et trois autres fois vous avez été élue sans opposition. Est-ce que cela faisait une différence dans votre approche électorale ?
Adversaire ou pas, je n’ai jamais pris les choses à la légère. J’ai mené toutes ces campagnes tambour battant. C’était important pour moi que les citoyens sachent que je ne prenais pas leur vote pour acquis. Même quand je n’ai pas eu d’adversaire, j’ai présenté un programme pour faire connaître les orientations, les priorités et les réalisations que je souhaitais mettre de l’avant et pour les faire partager à la population. Et oui, j’ai considéré ces élections sans opposition comme une manifestation d’appréciation du travail accompli au cours du mandat écoulé.
Quelles sont les réalisations à titre de mairesse de Drummondville auxquelles vous êtes particulièrement fière d’avoir contribuées ?
Une qui ne se mesure pas vraiment mais qui est pourtant bien réelle, le changement d’image de Drummondville. Les citoyens sont fiers de leur ville, ils apprécient la qualité de sa vie. Il s’est développé un fort sentiment d’appartenance. Pour les gens de l’extérieur, Drummondville est une ville accueillante, dynamique, où ça bouge. Dans les réalisations, je pourrais nommer la Maison des arts Desjardins, les nombreuses installations sportives dont l’Aqua complexe et la patinoire olympique à Yvan-Cournoyer, la mise en place d’un bon réseau cyclable, la réaménagement de l’hôtel de ville, la conversion de l’édifice de la Sécurité publique qui nous fait oublier l’ancien garage municipal et ses tas de sable, sans oublier l’embellissement de la ville par la plantation d’arbres, de fleurs et par le soin porté à l’aménagement des parcs et des espaces publics.
Quels sont les dossiers que vous auriez souhaité compléter avant de quitter la mairie en novembre 2013, mais qui ne le seront manifestement pas ?
Il y a le centre de foires qui sera en construction, mais qui ne sera pas terminé. Il y a aussi la mise en valeur du Boisé Marconi, un parc nature de six millions de pieds carrés réservé à la population, qui sera de son côté en voie de finalisation. Bien sûr, il faut parler de la construction du campus universitaire de l’UQTR, un projet exceptionnel pour lequel la communauté est prête à injecter 8 millions $ afin de combler le déficit de diplomation universitaire de nos jeunes, tout en nous permettant de les garder ici et d’en attirer de nouveaux. Il y a la nouvelle bibliothèque qui doit être construite au centre-ville. C’est un projet essentiel pour la vie culturelle chez nous. Sera-t-elle terminée en 2015 ? Finalement, il a aussi la mise en valeur de la rivière Saint-François par l’aménagement d’un parcours partant de Woodyatt jusqu’au par des Voltigeurs. Les études sont faites et ce pourrait être une réalisation extérieure pour le 200e anniversaire de Drummondville.
Justement, y aura-t-il un regret de votre part de ne pas être dans le siège de première magistrate lors des fêtes du 200e tout comme, fort probablement, à l’occasion des finales des Jeux du Québec ?
Je ne serai pas à la tête de la ville mais je serai dans la ville comme citoyenne. Je serai fière des célébrations qui marqueront cette année historique. Pour les Jeux du Québec, c’est bien parti. Ce sera, j’en suis sûre, un grand succès qui laissera des souvenirs mémorables. Il y aura aussi d’autres grandes manifestations et des legs particuliers qui témoigneront de l’importance accordée à cette année charnière.
La fonction de mairesse vous a amenée à remplir d’autres responsabilités connexes dont celle de préfète de la MRC de Drummond. Pourquoi est-ce important pour votre ville d’être représentée au plus haut niveau à l’intérieur de ce conseil des maires?
Comme Drummondville représente près de 75% de la population et acquitte près de 70% de la facture, je trouvais important que la ville puisse accéder au poste de préfet. Cela a pris plusieurs années avant que mon idée de favoriser l’alternance à la préfecture ait été acceptée. C’est maintenant chose faite depuis et le climat autour de la table est très bon.
Non seulement vous avez écrit une page d’histoire en devenant la première mairesse de Drummondville, mais vous en avez écrite deux autres en devenant la première femme à agir comme présidente de l’UMQ tant à l’échelle nationale que régionale. Une autre satisfaction, peut-on imaginer ?
J’ai été en effet, de 2002 à 2004, la première femme à assumer la présidence de l’Union des municipalités du Québec (UMQ). J’ai beaucoup apprécié la confiance et le support de mes collègues maires. Depuis 1994, je siège d’ailleurs au C.A. de l’organisme en plus d’occuper la présidence de la région 17.