Le sort de la rue Gauthier, qui est discontinuée sur une distance d’un peu plus de 300 mètres entre la rue Cormier et le boulevard Saint-Joseph, n’apparaît pas comme une priorité aux yeux de la Ville de Drummondville et pourtant, son ouverture est attendue depuis bien longtemps par des développeurs dont les projets engendreraient des revenus assez importants en termes de taxes municipales.
La rue Gauthier, qui est parallèle au boulevard René-Lévesque, est interrompue sur environ le quart de sa distance, une portion laissée à l’abandon qui est loin d’ajouter à l’esthétisme dans ce secteur. Le problème origine du fait qu’elle n’a pas toujours été une rue au sens cadastral du terme. Le petit bout inachevé, sur environ 330 mètres, a longtemps été identifié comme le lot 168-37 selon le cadastre établi le 13 août 1948. Après des actes de corrections, en 1966 et 1983, le lot 168-37 a finalement été désigné le 4 octobre 2010 comme étant une rue par les autorités municipales, qui du coup en devenaient propriétaires. D’ailleurs, un avis en ce sens a été publié dans L’Express les 21 et 23 décembre 2010. Une résolution, visant à compléter les formalités prévues à l’article 72 de la Loi sur les compétences municipales, a été adoptée en assemblée municipale le 12 septembre dernier.
Cependant, celui à qui appartenait ce fameux lot 168-37, Joseph Lomanno, propriétaire du Pizza Hut, a la possibilité de contester cette décision de la Ville et il a trois ans pour le faire. À ce jour, aucune plainte n’a été déposée. Devant cette menace d’être poursuivie, la Ville n’ose trop s’aventurer dans les travaux qui feraient finalement déboucher cette rue.
Ce qui fait que les propriétaires des terrains longeant la portion inachevée de la rue Gauthier piaffent d’impatience devant ce qu’ils considèrent comme une lenteur administrative. Ils attendent le déblocage de la rue pour enfin passer à l’action. C’est le cas de la Succession Mignonne Élie qui détient deux de ces terrains (un de 40 000 pieds carrés et un autre de 18 000 pieds carrés).
L’évaluateur professionnel Pierre Turcotte est mandaté par la Succession Élie pour procéder à la vente de ces terrains dont la valeur dépendra évidemment du déblocage de la rue Gauthier. «La valeur d’un terrain dépend toujours de ce qu’on peut faire avec. Si la Ville se décidait enfin à réunir les deux extrémités de cette rue, dont le coût serait défrayé en grande partie par les propriétaires riverains, les terrains se développeraient immédiatement. J’ai même un acheteur qui serait prêt à construire un immeuble d’une trentaine de logements, ce qui rapporterait une jolie somme à la Ville. En tout, on peut estimer que le développement de la rue Gauthier pourrait rapporter des taxes municipales de plus de deux millions de dollars par année. Pourquoi attendre ?», questionne M. Turcotte.
Menace de poursuite
Selon lui, la Ville craint de se faire poursuivre par l’homme d’affaires Joseph Lomanno, mais ce dernier «peut difficilement se plaindre de quoi que ce soit; il n’a pas payé de taxes municipales pour cette rue inachevée. Personne ne paie de taxes pour une rue. Ce bout de rue à côté du Pizza Hut lui a plutôt servi de stationnement, une affaire tolérée par la Ville».
L’homme d’affaires et ex-maire de Drummondville Serge Ménard attend lui aussi qu’il y ait déblocage, se disant prêt à agrandir son immeuble de plus de 20 000 pieds carrés. «Ça fait plus de 20 ans qu’on attend», a-t-il dit en se rapportant à une époque où Joseph Lomanno et un partenaire d’affaires Jeffrey Cohen, prévoyant construire un centre commercial, s’étaient vus suggérer par la Ville de procéder à l’achat de la rue Gauthier pour arriver à leurs fins. M. Lomanno a effectivement acheté le terrain qui allait devenir la rue Gauthier pour la somme de 2$, mais leur projet ne s’est jamais matérialisé. Dans une lettre datée du 20 juillet 1989, le directeur général Gérald Lapierre mettait en garde les élus devant les dommages que la Ville pourrait subir de la part des propriétaires riverains à la suite de la fermeture de la rue Gauthier, qui aurait pour effet d’enclaver leurs terrains.
Depuis lors, la Ville a rallongé un peu la rue de façon à permettre l’aménagement d’une garderie. De telle sorte qu’il ne manque plus que 1000 pieds pour joindre les deux bouts de cette rue qui est zonée «commercial» sur son côté ouest et «résidentiel» sur son côté est.
À la Ville, Me Louis Savoie, directeur des services juridiques, affirme qu’une décision n’est pas imminente dans ce dossier. «Il y a des discussions et des recherches à poursuivre afin de trouver la solution optimale. Nous sommes à évaluer les différentes manières de compléter cette rue et voir si la qualification de zonage est appropriée», a-t-il mentionné. Me Savoie tient à demeurer discret sur les possibles poursuites de la part de M. Lomanno. «La Ville ne peut avancer dans ce dossier tant et aussi longtemps que pèsera cette menace d’une contestation judiciaire», a-t-il dit, laissant entendre qu’il faudra attendre la fin du délai de prescription. Dans deux ans et demi.
Ce qui fait dire à MM. Turcotte et Ménard que «la Ville a peur d’avoir peur».