Un voyage de ski qui tourne au drame

Par Claude Thibodeau
Un voyage de ski qui tourne au drame

De retour au pays depuis samedi soir, les patrouilleurs de la Station de ski du Mont Gleason, qui accompagnaient le Victoriavillois Denis Lacoursière qui a tragiquement perdu la vie à Chamonix, ont rencontré, dimanche après-midi, leurs collègues patrouilleurs et des proches du disparu qui aurait célébré ses 50 ans au mois de mai. «Pour répondre à leurs questions, leur révéler la vraie version, leur donner la bonne information», signale François Guévin. Avant cette rencontre, les patrouilleurs Yves Bernier et François Guévin ont généreusement accepté de raconter, à La Nouvelle Union, leur magnifique voyage de ski qui, brusquement, a tourné au drame.

«N’eût été de l’accident, nous avons fait du beau ski, nous avons fait un très beau voyage, des températures douces», commente Yves Bernier, patrouilleur de 28 ans d’expérience au mont Gleason, impressionné par la beauté des paysages. «C’est tellement beau, Chamonix. J’ai compris pourquoi Denis nous en parlait tellement», ajoute-t-il.

Denis Lacoursière en était à sa quatrième visite à Chamonix, mais il n’avait jamais dévalé la pente de la Vallée Blanche, lieu du funeste accident. Il a neigé trois jours avant le drame, des accumulations d’environ 30 cm.

L’homme de 49 ans participait à un voyage de six jours de ski entre le 16 et le 24 mars. «C’est Sylvie Laroche, membre de la patrouille, qui, pour souligner son anniversaire, avait demandé à Denis d’organiser un voyage», souligne le patrouilleur François Guévin.

Ainsi, six patrouilleurs des Bois-Francs ont participé à l’expédition : Jacques Lessard, sa conjointe Sylvie Laroche, Pierre Charest, François Guévin, Denis Lacoursière et Yves Bernier. Les conjointes d’Yves Bernier, Suzanne Perreault, et de Pierre Charest, Hélène Giasson, accompagnaient le groupe. Huit Sylvifrancs ont donc pris part au périple. Deux couples, l’un de Berthierville et l’autre de Longueuil, se aussi joints au groupe.

Denis Lacoursière agissait alors comme le guide accompagnateur du groupe. Mais pas lors de la journée fatidique du jeudi 22 mars. «Ce jour-là, pour la descente de la Vallée Blanche, nous avions un guide local. La règle, explique Yves Bernier, c’est un guide pour huit personnes. Or, nous étions neuf. Denis nous a dit : allez-y, moi, j’irai skier avec Richard Dubreuil, un ami de Voyages Gendron qui fréquente la région depuis 25 ans, et avec Jean Bourgault.»

Et si le groupe avait compté huit membres plutôt que neuf? «Je ne sais pas ce que Denis aurait fait, il nous aurait probablement accompagnés, mais c’est comme ça. C’est le destin», signale Yves Bernier.

L’accident

L’accident, qui a coûté la vie à l’homme qui a oeuvré pendant 24 ans comme patrouilleur à la Station du Mont Gleason, s’est produit dans la Vallée Blanche. Le groupe en était à son avant-dernier jour de ski.

«Il s’agit d’une descente de plus d’une vingtaine de kilomètres. La descendre peut prendre de quatre à six heures. Cela dépend du chemin que nous empruntons. Et puis on s’arrête pour admirer les paysages, c’est tellement beau», rappelle Yves Bernier.

Avant d’entreprendre leur descente en ski, le groupe de Yves et François a descendu l’Aiguille du midi, un trajet à pied d’environ 300 mètres. «Nous nous sommes tous encordés pour le passage d’une crête par mesure de sécurité. L’Aiguille du midi est à Chamonix ce que la tour Eiffel est à Paris. Et la descente de la Vallée Blanche est à Chamonix ce que sont les Champs-Élysées à Paris», exprime M. Bernier.

Au terme de cette descente, avant de chausser leurs skis pour dévaler la pente, ils ont rencontré Denis Lacoursière. «Il tripait, il était heureux», observe Yves Bernier.

«Et selon ce qu’a fait savoir Jean Bourgault, Denis, lors de la descente, a éprouvé quelques difficultés dans la neige poudreuse. Mais on lui a alors conseillé de laisser aller ses skis et après, cela a bien été. Denis tripait, il criait sa joie, «yahou!», il arborait un grand sourire», renchérit François Guévin.

Peu après s’est produit l’événement fatidique. Réflexe d’ancien journaliste, Yves Bernier a pris des notes.

Alors que le groupe de Yves Bernier et de François Guévin a entrepris la descente dite «classique, Denis Lacoursière et ses deux amis ont emprunté la descente du «gros rognon».

Le Victoriavillois a chuté dans une crevasse en raison d’un pont de neige qui s’est effondré. «Richard Dubreuil, qui guidait le trio, est passé le premier sans difficulté. Denis suivait et la fissure l’a avalé. Jean Bourgault, lui, s’est arrêté, relate Yves Bernier. Il a raconté qu’il sentait le sol vibrer sous ses pieds et il se croyait pris sur une crevasse. Il a regardé Richard et ils ont constaté que Denis avait disparu. Mais aucun d’eux ne l’a vu tomber dans la crevasse. Richard a alerté les secours grâce à son cellulaire.»

L’accident mortel, selon lui, s’est produit vers 11 h 30, heure locale, donc vers 6 h 30, jeudi, heure du Québec.

«La crevasse, a-t-on appris, faisait 80 pieds de longueur et 10 pieds de largeur avec une profondeur de 11 mètres. Quand les secouristes l’ont trouvé, Denis était enseveli par trois mètres de neige», indique Yves Bernier.

Un violent impact

Lors de l’entrevue avec La Nouvelle Union réalisée dans le bureau de la directrice générale de Gleason, Yves Bernier tenait, dans ses mains, le casque que portait le disparu au moment de sa chute mortelle.

L’état du casque, brisé en plusieurs endroits, témoigne d’un impact violent à la tête. «Quand les intervenants d’urgence l’ont découvert, il était blanc, signe qu’il serait mort sur le coup. S’il avait succombé par suffocation, il aurait été bleu. Denis a eu deux vertèbres cervicales brisées. En termes clairs, il s’est cassé le cou», précise le patrouilleur Bernier. Quasi prémonitoire, Denis Lacoursière arborait sa devise sur son casque : «Live and die for the snow».

Le groupe des Bois-Francs n’aura appris le décès tragique de leur ami bien après que la nouvelle ait commencé à circuler à Victoriaville. «La vue de l’hélicoptère nous a convaincus qu’un accident s’était produit. Mais nous ne savions pas quoi. Ça aurait pu être autre chose de moins dramatique, touchant quelqu’un d’autre», mentionne Yves Bernier.

Le groupe a complété sa descente sans se douter de rien. Après leur journée de ski, les participants se sont séparés. Certains, comme Yves Bernier, ont effectué un tour d’hélicoptère et d’autres, comme François, ont fait un peu de magasinage et pris un verre. «J’ai appris la mauvaise nouvelle, par hasard, à l’épicerie alors qu’un citoyen de Bromont faisait état à la caissière de la mort d’un guide. Bien sûr, on l’a questionné», indique François Guévin.

Yves Bernier, lui, a appris le décès tragique en se rendant visiter la chambre d’hôtel du directeur du Service de sécurité incendie de Longueuil avec qui il avait fait connaissance. «À l’hôtel, une note explicative de l’agence Voyage Gendron informait de la mauvaise nouvelle.»

Un passionné

Appelés à parler du disparu, tant François que Yves, ont fait valoir sa passion. «C’était un homme passionné, c’est la meilleure description», note François. «Un passionné du ski», dit Yves. «Un passionné de tout, ajoute François. C’était un gars transparent et aussi un artiste dans son art, dans son métier.»

Denis Lacoursière était propriétaire de l’entreprise Image Go de Victoriaville, spécialisée dans le lettrage, le graphisme et l’impression de tous genres. «Le ski constituait une passion pour lui. Il caressait le projet d’une école de ski de poudreuse», confie Yves Bernier.

Denis, selon eux, avait aussi un projet de retraite bien précis, désireux d’être en poste, à l’étranger, pour travailler comme représentant de destination.

Le Victoriavillois, qui laisse notamment dans le deuil sa conjointe et ses deux filles, devait rentrer chez lui quelques jours après les autres. «Il devait préparer, pour l’an prochain, un voyage en Suisse», fait savoir M. Bernier.

Mais Denis ne rentrera plus jamais. Son décès est le premier à survenir de cette façon cette année à Chamonix. Quelque 85 000 personnes y défilent chaque hiver. «Le destin a frappé, soutient Yves Bernier. Et on a signalé que Denis a fait son job de patrouilleur jusqu’au bout. En faisant effondrer le pont de neige, il a probablement rendu service à des dizaines d’autres skieurs qui s’en venaient par là.»

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