Jean-Luc Leclair a 6 ans lorsque son père Victorin quitte un emploi stable à la Canadian Celanese et la ville pour prendre possession d’une ferme laitière dans le Rang 10 de Wendover, à Notre-Dame-du-Bon-Conseil, amenant avec lui femme et enfants dans cette aventure apparaissant un peu audacieuse à l’époque.
Cette décision prise en 1956 va changer à jamais le cours de la vie de la petite famille et, en particulier, de celui qui, depuis octobre 2009, occupe la présidence de la Fédération de l’UPA du Centre-du-Québec après un parcours pour le moins particulier dans le monde agricole.
Aujourd’hui, après avoir vu grandir à son tour sa propre famille sur cette même terre qu’il a toujours un peu considérée comme son grand terrain de jeux, M. Leclair y besogne encore avec la même sérénité, bien qu’en 2007, une blessure au dos le force, à son grand regret, à se départir de son beau troupeau de vaches pur sang.
Depuis, même si la santé est graduellement de retour, la soixantaine nouvellement arrivée, il se contente de produire du maïs et du soya sur la cinquantaine d’hectares que compte la ferme, et ce, lorsqu’on ne l’appelle pas à droite ou à gauche pour défendre les intérêts de ses confères et consoeurs producteurs agricoles, comme il le fait avec ferveur depuis plus de 20 ans dans un siège ou dans un autre.
L’agronome-agriculteur
C’est qu’avant d’accéder à la présidence de l’UPA, cet agronome de formation a agi comme président du Syndicat des producteurs laitiers du Centre-du-Québec de 1992 à 2007, soit pendant plus de 15 ans.
Pas si mal pour ce producteur qui, lorsqu’au début des années 1980, au moment de prendre la relève de son père à la tête de la ferme Viclair, s’est fait dire par des gens du voisinage qu’il devait sans doute être «ben dur de comprenure» pour avoir eu besoin d’un diplôme en agronomie juste pour s’occuper d’une ferme familiale.
Jean-Luc Leclair en rit encore aujourd’hui, sauf que, ce que ces détracteurs du temps ne savent peut-être pas, c’est que dix ans auparavant, alors qu’il avait 20 ans et la première année de son baccalauréat en agro-économie en poche, il s’était enquis auprès du paternel de la possibilité de joindre la ferme comme partenaire à temps plein ou de l’acquérir.
Son père, qui était un homme de peu de mots, mais de très grand bon sens, avait apaisé la hâte de fiston de devenir agriculteur à plein temps en lui passant tout simplement ce message devenu un leitmotiv : «Mon garçon, lorsque l’on prend la peine de commencer quelque chose, on s’arrange pour la terminer.»
Une fois ce premier diplôme obtenu, Jean-Luc croit bien avoir sa chance, mais son père l’invite alors à attendre pour voir ce que ses trois autres frères vont décider pour la suite des choses.
Déçu, mais pas malheureux pour autant à l’Université Laval, il entreprend une maîtrise en comptabilité et gestion des entreprises agricoles.
Cette autre étape franchie, le temps n’est pas encore venu, semble-t-il, pour Victorin de lui céder le plancher des vaches, si bien que Jean-Luc voit l’occasion de mettre ses connaissances au service du Syndicat de gestion agricole Iberville-Missisquoi.
M. Leclair avoue qu’il a beaucoup appris au contact de la cinquantaine d’agriculteurs avant-gardistes s’étant regroupés au sein de ce premier syndicat de gestion agricole à voir le jour au Québec.
Cinq ans plus tard, après avoir apporté sa contribution à la mise sur pied de quelques autres syndicats de gestion, il quitte la région de Saint-Jean plus riche de cette expérience et peut enfin prendre possession de la ferme familiale.
Cela est financièrement possible grâce à des arrangements avec ses parents et à sa ténacité à démontrer aux institutions prêteuses qu’il se sent capable d’accroître de façon significative la production laitière de l’entreprise, pourtant fort potable, et ce, sans augmenter le nombre de têtes grâce à une régie améliorée du troupeau.
Le nouveau producteur laitier tient parole et plus, car, en 5 ans, le troupeau de la ferme Viclair diminue de 42 à 38 têtes, alors que la production grimpe de 8000 kilos de matières grasses à 12 000.
Quand il quitte la production laitière en 2007, son troupeau compte 36 vaches qui lui rendent autour de 14 000 kilos, comme quoi la recette de ses succès n’est pas le fruit du hasard.
Le syndicalisme agricole
Personne ne sera surpris d’apprendre qu’une fois devenu producteur, l’une des premières implications sociales de M. Leclair est d’aider au démarrage du Syndicat de gestion agricole du Centre-du-Québec en 1982 en en assumant le rôle de président fondateur.
Pourtant, Jean-Luc Leclair tient bien à dire que l’idée de mettre en place un tel syndicat n’est pas directement de lui, mais d’un producteur de Sainte-Brigitte-des-Saults qui, avec d’autres agriculteurs de la région, l’ont, pour ainsi dire, incité à accepter le poste en raison de ses antécédents faits sur mesure.
D’ailleurs, assez curieusement, à l’exception de ce premier geste d’ouverture, même s’il assiste de façon très assidue aux assemblées et activités syndicales et coopératives, M. Leclair se tient volontairement à l’écart des postes décisionnels lors des premières années de sa vie d’agriculteur pour y jouer, inconsciemment peut-être, un rôle de fin observateur.
Pourtant, de son propre aveu, le syndicalisme agricole le passionne depuis sa tendre enfance, alors que du haut de l’escalier de la maison familiale, il est un témoin clandestin des échanges parfois savoureux entre les producteurs du rang pour débattre des stratégies de l’UCC du temps et parfois contester les politiques agricoles des gouvernements Duplessis, Lesage, etc.
C’est finalement lors d’une assemblée tenue au début des années 1990 dans le contexte du fameux débat sur les deux pôles de lait, qu’à son étonnement, quelqu’un propose sa candidature à un poste de délégué.
L’enjeu l’intéresse au plus haut point et il accepte le défi.
Pour faire une histoire courte, M. Leclair est appelé par la suite à siéger sur un comité provincial mandaté pour apporter des pistes de solutions à ce litige.
Il en produit éventuellement un rapport minoritaire qui, l’avenir le dira, lui donne raison sur l’essentiel de ses objections.
En 1992, des producteurs laitiers de la région font des pressions sur le producteur bonconseillois pour qu’il se présente à la présidence de leur syndicat.
La piqûre syndicale ayant fait son oeuvre, il accepte et demeure jusqu’en 2007 à la tête du Syndicat des producteurs laitiers du Centre-du-Québec.
Durant ces 15 ans, il occupe des fonctions stratégiques dont celles de membre du conseil exécutif de la Fédération des producteurs de lait du Québec et de président du Centre d’insémination artificielle du Québec, pour ne nommer que celles-là.
En 2009, après quelques mois de relatives quiétudes syndicales, des producteurs agricoles se tournent à nouveau vers M. Leclair et l’exhortent à porter sa candidature à la barre de l’UPA du Centre-du-Québec.
Après de très mûres réflexions, il répond à nouveau présent, conscient que son expérience et son tempérament peuvent l’amener à jouer un certain rôle dans le contexte actuel.
Il jure toutefois que son ambition n’est pas d’y inscrire un record de longévité, mais de répondre au meilleur de ses possibilités aux nombreuses attentes de la classe agricole, le temps d’un mandat, fort probablement.
Comme si cela n’était pas suffisant, Jean-Luc Leclair agit depuis 2007 comme producteur expert pour le compte d’UPA développement international, une responsabilité qui l’amène, entre autres, à effectuer deux séjours l’an au Salvador pour y aider les petits producteurs agricoles, d’anciens guerrieros pour la plupart, à se structurer et à organiser leur mise en marché.
Mais pourquoi tant d’implications pour cet agriculteur dans l’âme et agronome de formation qui aurait pu se contenter de faire sa petite affaire sur son «terrain de jeux» ? «Parce que je suis avant tout un "collectif"», répond spontanément Jean-Luc Leclair en nous laissant le soin d’imaginer tout le sens qu’il veut bien que l’on donne reconnaisse à ce qualificatif.