CULTURE. Avec en poche une formation universitaire en sciences économiques, Justin Rousseau ne se doutait point qu’un jour il deviendrait directeur principal des opérations de tournée du prestigieux Cirque du Soleil.
Son parcours éclectique et inspirant a été souligné non pas à une, mais à deux reprises lundi dernier. En après-midi, Justin Rousseau a été intronisé au Mur de la culture de l’école Jean-Raimbault où il a fait ses quatre premières années du secondaire, de 1990 à 1994. Des élèves en danse et en musique lui avaient réservé de belles prestations en guise d’hommage. Puis, en soirée, la Ville de Drummondville lui a remis un certificat de citoyen d’honneur. Fait particulier, les deux cérémonies se sont tenues dans le gymnase qui porte aujourd’hui le nom de Pierre-Alexandre Rousseau, son frère.
La piqûre
Malgré son vif intérêt pour les sciences pures et économiques, Justin Rousseau développe très jeune une réelle passion pour le monde du spectacle. Ses premières expériences sur le marché du travail ont été vécues à la billetterie du Centre culturel de Drummondville, aujourd’hui devenu la Maison des arts.
«Je dirais que cet emploi a été l’élément déclencheur qui m’a amené là où je suis aujourd’hui», a-t-il indiqué à la centaine d’élèves présents.
Quelques années plus tard, en 2004, pour sa solide expérience en gestion de billetterie, il se voit offrir le poste de chef de la billetterie du spectacle Cavalia, qui entamait à cette époque sa tournée américaine. C’est à ce moment que le Drummondvillois a réellement la piqûre de ce milieu de travail unique.
Mais un an plus tard, porté par sa passion première, les finances, M. Rousseau décide de revenir au Québec pour joindre les rangs de la Caisse de dépôt et placement du Québec à titre d’analyste financier. Cependant, travailler dans ce domaine lors de la crise financière de 2008 n’est pas une sinécure et, en 2009, une réorganisation au sein de l’entreprise le force à faire le point sur sa carrière et à réfléchir à son avenir.
Soudainement, le désir de revivre des expériences de vie de tournée se manifeste. Mais ce n’est qu’en mars 2011 que le Drummondvillois obtient un emploi traçant la voie de ce qui est devenu une carrière professionnelle de rêve : il devient comptable de tournée sur le spectacle Totem du Cirque du Soleil. En 2012, il se voit offrir le poste de chef des services de la tournée européenne du spectacle Corteo. Au cours des trois années suivantes, le spectacle Corteo amène Justin Rousseau à travers l’Europe et l’Amérique du Sud et lui permet de devenir directeur des opérations. Puis, en 2015, il est promu directeur principal des opérations pour la dernière année de ce même spectacle. Finalement, il se joint à la plus récente production du Cirque du Soleil, Luzia, en tant qu’associé au directeur principal des opérations pour la tournée nord-américaine, poste d’importance qu’il assume toujours aujourd’hui.
Le rôle du Drummondvillois est de prendre soin de tous les employés sur la tournée, au nombre de 115, afin que ces derniers puissent faire leur travail, tant sur scène que derrière le rideau. Concrètement, il est le grand responsable de la gérance, de la logistique, du transport, de l’hébergement, de l’immigration, de la cuisine (250 repas par jour), des services informatiques, de l’administration, des ressources humaines et de la comptabilité.
«Il n’y a jamais deux journées qui se ressemblent. En général, je commence à travailler vers 11 h et je termine en soirée, entre 20 h et 22 h. Avec mon équipe, on a à gérer les petits problèmes au quotidien de chacun. Par exemple, s’assurer que tout le monde est bien nourri et logé et qu’il n’y a pas de pépins administratifs. Lorsque tout est sous contrôle, je travaille beaucoup sur la planification des prochains marchés. Quand il faut bouger vers un autre endroit, tout doit être réglé au quart de tour. Ensuite, en début de soirée, je veille à ce que tous les petits problèmes (techniques, gestion de l’entrée du public, etc.), s’il y en a, soient réglés», a-t-il expliqué.
Un emploi «extraordinaire»
Justin Rousseau s’estime immensément chanceux de faire partie de la grande famille du Cirque du Soleil.
«Je suis très choyé de gagner ma vie à travers cette organisation. C’est un milieu de travail qui est extraordinaire et extrêmement riche en expériences», affirme-t-il en toute reconnaissance.
Vie de tournée rime avec anecdotes, et des anecdotes, il en a été témoin à plusieurs reprises. Il se souvient particulièrement de celle-ci : «C’était dans la Péninsule du Yucatán au Mexique. Quand on est arrivé pour planter les 1200 pieux nécessaires pour soutenir les tentes, une opération relativement de routine, ça ne rentrait pas. On se demandait ce qui se passait. Le problème, c’est que le promoteur ne nous avait pas avertis que cette péninsule est une ancienne météorite! C’était impossible de forer le chapiteau. On a donc dû faire venir de l’équipement spécialisé utilisé pour l’extraction dans les mines. Pas besoin de dire qu’on n’a jamais ressorti les pieux de là ! Ceci dit, c’était très stable!» a-t-il rigolé.
Et cet emploi l’amène évidemment à voyager partout sur la planète.
«Comme nous restons en général plus de deux mois au même endroit, on a la chance d’expérimenter des cultures différentes et d’en profiter. C’est difficile de choisir mon endroit préféré, parce que chaque ville a ses particularités. J’adore les montagnes, donc la Suisse c’était extraordinaire, la bouffe au Pérou est aussi extraordinaire et j’ai aimé l’Argentine pour sa culture», a-t-il laissé entendre en réponse à une question dans la salle.
En somme, bien que cet emploi peut être exigeant et demande de faire des concessions, notamment de vivre loin du nid familial, Justin Rousseau n’est pas prêt à laisser sa place pour toutes les raisons qu’il a énumérées plus haut.
Un véritable petit village
«Un spectacle du Cirque du Soleil, ça se conçoit 18 mois à l’avance. Une fois qu’on a les grandes idées, il faut faire bâtir la scène et les équipements. Ensuite, on engage les artistes pour débuter les entraînements», a fait savoir Justin Rousseau.
Chaque production sous chapiteau embauche environ 120 employés et artistes de scène de quelque 19 nationalités différentes. Sur le site, jusqu’à 50 corps de métiers professionnels peuvent s’y affairer, tels que charpentier, machiniste, gréeur, électricien, chef cuisiner, éclairagiste, sonorisateur, soudeur, marionnettiste et acrobate.
Dix jours sont nécessaires pour installer et désinstaller les structures et équipements du spectacle qui est généralement présenté durant deux à trois mois à un même endroit. Entre deux villes, c’est un gigantesque convoi composé de 65 camions-remorques de matériel (chapiteaux, tentes, cuisines, services publics…) qui se déplace.
«Cela coûte environ un million de dollars pour déplacer les chapiteaux chaque fois, c’est majeur!» a-t-il lancé.
Bref, c’est littéralement un petit village qui s’installe constamment aux quatre coins du monde pour aller à la rencontre du public.
«C’est vraiment un travail d’équipe, car la magie arrive quand on travaille tous ensemble», a exposé M. Rousseau.